«L’appel au boycottage des restaurants est présenté comme le résultat d’antisémitisme plutôt que le résultat de leur position pro-israélienne.»
10 Juillet, 2024
À:
Chloé Bourquin, Reporter, La Presse
Stéphanie Grammond, Éditorialiste en chef, La Presse
Violaine Ballivy, Directrice des actualités et informations générales, La Presse
Chères Chloé Bourquin, Stéphanie Grammond et Violaine Ballivy,
Je vous écris pour vous demander d’apporter des corrections à l’article : « Parce que "nous sommes juifs" », publié le 8 juillet, dans La Presse.
Pour le dire simplement, votre article est biaisé. L’appel au boycottage des restaurants est présenté comme le résultat d’antisémitisme plutôt que le résultat de leur position pro-israélienne.
Premièrement, vous décrivez les restaurants comme « juifs ».
Vous écrivez : « Depuis plusieurs mois, une liste de restaurants montréalais juifs circule sur les réseaux sociaux, appelant à les boycotter en raison des « liens » qu’ils auraient avec Israël. »
Décrire les restaurants comme « juifs » c’est vouloir entretenir l’amalgame entre l’appel au boycottage des restaurants et l’antisémitisme ce qui est encore plus problématique considérant le manque de clarification avec les mots « liens qu’ils auraient avec Israël. »
Alors qu’il est difficile de savoir à quels restaurants et restaurateurs vous faites référence à cause de l’anonymat, selon la liste qui circule sur les réseaux sociaux, Falafel Yoni et Yoni Amir, que vous citez, sont ciblés non pas parce que le propriétaire est juif, mais parce qu’il a voyagé dans un territoire palestinien occupé pour « ramener » la cuisine à Montréal.
La cuisine fait partie de la culture, l’histoire et la tradition d’un pays. S’accaparer la cuisine palestinienne s’inscrit dans l’entreprise coloniale israélienne et son nettoyage ethnique et génocide des Palestiniens. Ce n’est pas seulement du vol, mais de l’appropriation et de l’effacement d’une culture autochtone qu’est celle des Palestiniens par une entité coloniale qu’est Israël. En rajoutant l’absence de phrases ou paragraphe de contexte du génocide à Gaza, votre article minimise cette réalité et pourquoi des restaurateurs et restaurants sont ciblés par le boycottage.
Je vous demande d’enlever le mot « juifs » pour rendre votre article moins biaisé.
De plus, vous donnez la parole à Julien Corona, directeur associé aux communications et aux relations avec les médias du Centre consultatif des relations juives et israéliennes (CIJA), et son accusation d’un caractère « antisémite » de cette liste.
Cependant, vous omettez de fournir un descriptif de ce centre ce qui peut le présenter comme un représentant de la communauté juive et donc, contribuer à l’amalgame de l’appel au boycottage avec l’antisémitisme.
L'une des trois grandes priorités de CIJA est de : « renforcer l'amitié entre le Canada et Israël ». Un examen du Guide des questions fédérales sur son site web suggère que CIJA peut être décrit au mieux comme une organisation de défense des intérêts pro-israéliens.
Je vous demande de rajouter un descriptif de CIJA pour rendre votre article moins biaisé.
Deuxièmement, votre article est dénoué de tout contexte du génocide à Gaza et des intentions du mouvement BDS.
Comme on peut le lire sur le site de la Coalition Boycott Désinvestissements Sanctions (BDS) Québec, la campagne BDS « vise à ce que l’État d’Israël honore ses obligations de reconnaître le droit inaliénable du peuple palestinien à l’autodétermination et qu’il se conforme entièrement aux préceptes du droit international. »
Les revendications sont :
- Mettre fin à l’occupation et à la colonisation de toutes les terres arabes et démanteler le mur;
- Reconnaître les droits fondamentaux des citoyens arabo-palestiniens d’Israël à une complète égalité;
- Respecter, protéger et favoriser les droits des réfugiés palestiniens à recouvrer leurs maisons et leurs biens comme le stipule la résolution 194 de l’ONU.
Alors que la Coalition BDS-Québec détaille tous les axes stratégiques d’action citoyenne : le boycott, le désinvestissement et les sanctions, je vais m’attarder sur le boycott étant donné qu’il s’agit de l’objet de votre article.
Le boycott est défini comme suit : « moyen d’action pacifique et outil de résistance civile, le boycott fait partie du droit à la liberté d’expression, reconnu en droit international et dans les chartes québécoise et canadienne. Il existe plusieurs formes de boycott mises en œuvre dans le cadre de la campagne BDS, parmi lesquelles on peut citer le boycott économique, le boycott académique et culturel et le boycott sportif. »
En d’autres termes, l’appel au boycottage des restaurants n’est pas une action antisémite, et, au contraire, et une action protégée par le droit international et les chartes québécoise et canadienne, pour mener Israël à se conformer à ses obligations internationales alors qu’un génocide est en cours à Gaza.
Je vous demande d’ajouter une description des intentions du mouvement BDS et un contexte sur le génocide à Gaza pour rendre votre article moins biaisé.
Troisièmement, vous ne présentez pas une définition exacte de l’antisionisme.
Vous écrivez : « L’antisionisme est le rejet du sionisme, un mouvement politique qui soutient que le peuple juif aurait droit à un État. L’antisionisme est l’opposition à l’existence de l’État d’Israël en tant qu’État juif. »
La définition que vous présentez laisse penser que le problème est l’identité juive de l’État. Or, l’antisionisme est l’opposition à l’existence de l’État d’Israël en tant qu’État où les Juifs ont plus de droits que les Palestiniens ou, en d’autres termes, un État suprémaciste ethnique ou religieux basé sur la supériorité des Juifs. Vous omettez une partie importante de la définition ce qui ne peut brouiller la définition entre l’antisémitisme et l’antisionisme. Cette définition peut présenter tous ceux qui s’opposent au sionisme comme antisémites ce qui est problématique surtout que certains Juifs s’opposent au sionisme.
Je vous demande de mettre à jour votre définition d’antisionisme pour bien clarifier la distinction avec l’antisémitisme.
J’espère que La Presse apportera ces changements et considérera mes suggestions dans sa future couverture médiatique des actions qui s’insèrent dans le mouvement BDS.
Si vous le souhaitez, vous pouvez me contacter au 438-380-5410 pour plus d'informations.
Cordialement,
Fatima Haidar,
Analyste des médias, Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient